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Quentin, une vie à gauche !
7 janvier 2006

M. Chirac réclame un tiers d'élèves boursiers dans les "classes prépas"

Pour diversifier le recrutement des élites françaises, Jacques Chirac a sommé, mercredi 4 janvier, les classes préparatoires aux grandes écoles d'augmenter considérablement la proportion d'étudiants issus de milieux sociaux défavorisés dans leurs rangs. Lors de ses voeux à la presse, le chef de l'Etat a demandé que les "classes prépas" accueillent d'ici trois ans un tiers d'élèves boursiers, contre 18 % aujourd'hui. Cette filière, qui concerne 73 000 étudiants, se caractérise par la surreprésentation des milieux favorisés, avec 52 % d'enfants de cadres et de professions libérales, contre 32 % à l'université. Pour atteindre cet objectif, M. Chirac a annoncé que les meilleurs bacheliers bénéficieraient désormais d'un "droit d'accès garanti" aux classes préparatoires.

CHIFFRES

73 150 ÉTUDIANTS étaient inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles en 2004-2005. 72,6 % des élèves entrant dans ces filières avaient obtenu un baccalauréat S (scientifique), 12,6 % un bac ES (économique et social), 9,9 % un bac L (littéraire).

ORIGINE SOCIALE
52 % sont enfants de cadres supérieurs ou professions libérales (contre 32 % à l'Université), 5 % sont enfants d'ouvriers (10 % à l'Université).

L'écart s'aggrave une fois réussis les concours : selon la conférence des grandes écoles, 62 % des élèves ont des parents cadres supérieurs ou professions libérales (contre 35,2 % à l'Université), alors que cette catégorie ne représente que 13,6 % de la population ayant un enfant âgé de 18 à 25 ans.

5,2 % sont enfants d'ouvriers (contre 11,8 % à l'Université), alors que les ouvriers représentent 31,3 % de la population ayant un enfant dans cette même tranche d'âge.

L'Elysée est resté assez flou sur deux questions centrales. La première est relative au périmètre de la mesure : pour la prochaine rentrée scolaire, ce droit d'accès garanti s'appliquera aux titulaires de mention "très bien", soit 8 000 bacheliers potentiels environ. Aucune décision n'a été prise pour les bénéficiaires de mention "bien" (environ 28 000), même si l'Elysée juge cette extension réalisable.

La seconde interrogation porte sur l'affectation des élèves ainsi recrutés dans les classes préparatoires. Ils bénéficieront d'une procédure spécifique leur permettant de se porter candidat après la publication des résultats au baccalauréat, en juillet, et non plus sur dossier en janvier. Mais aucune décision n'a été prise quant à leur affectation. Seront-ils orientés dans les établissements où des places sont vacantes (8 000 environ au total), donc dans les classes préparatoires les moins prestigieuses ? Ou bénéficieront-ils d'un contingent de places réservées dans chaque lycée, y compris les plus élitistes ? Ces interrogations, qui peuvent modifier considérablement l'ampleur des annonces, devraient être tranchées lors de la présentation d'un "plan d'action", d'ici quelques semaines, par le ministre de l'éducation.

La plupart des acteurs se sont félicités de l'affichage d'une telle ambition, mais se sont interrogés sur les moyens pour y parvenir. D'abord parce qu'une partie importante des titulaires de mentions "bien" et "très bien" choisissaient déjà les classes préparatoires. "Presque tous ceux qui obtiennent une de ces mentions ont des dossiers scolaires qui leur permettent d'être pris dans une classe préparatoire", relève Jean-Claude Lafay, responsable des classes préparatoires au sein du SNPDEN, le principal syndicat des proviseurs. Quantitativement, l'impact de cette mesure devrait être assez limité. De l'avis des experts, ensuite, le problème de l'accès aux grandes écoles ne se situe pas au moment de la candidature, mais en amont, au collège et au lycée. Ils en veulent pour preuve que trois candidats sur quatre, en moyenne, sont acceptés à l'entrée des classes préparatoires. "Nous sommes face à un problème d'autocensure des élèves de milieux défavorisés qui n'osent pas se porter candidats", explique Philippe Heudront, président de l'Aphec, association des professeurs des classes préparatoires commerciales.

Visiblement conscient de cette difficulté, M. Chirac a demandé aux universités et aux grandes écoles de "participer activement à l'orientation et à la préparation des jeunes" au lycée, en organisant des tutorats. L'Elysée s'appuie ainsi sur l'expérience mise en place par l'Essec en 2002 pour inciter les "jeunes de quartiers" à choisir des filières sélectives. Cette obligation sera formalisée dans les contrats signés entre les établissements d'enseignement supérieur et l'éducation nationale.

Les concours des grandes écoles et de la fonction publique devraient aussi être modifiés pour moins pénaliser les jeunes peu favorisés, en particulier ceux qui viennent de banlieue. Des études ont montré que les épreuves pour lesquelles un haut niveau de culture générale est exigé (par exemple, les dissertations, qui concernent plus les filières commerciales et littéraires que les écoles d'ingénieurs) pénalisent ceux qui disposent d'un bagage culturel familial moins fourni.

En cas d'échec de ces différentes actions, l'Elysée n'exclut pas de fixer, de manière plus volontariste, le nombre d'élèves de chaque lycée qui se verraient garantir un droit d'accès aux classes préparatoires. Plusieurs travaux récents ont suggéré la mise en place de ce type de politique. Un rapport publié par l'Institut Montaigne (Le Monde du 3 janvier) a proposé que chaque classe préparatoire accueille deux ou trois élèves issus des lycées classés en zone d'éducation prioritaire (ZEP). Dans un ouvrage publié en 2005 (La République et sa diversité, Seuil), l'universitaire Patrick Weil avait proposé que 5 % à 7 % des meilleurs élèves de chaque lycée aient un droit d'accès aux "classes prépas".

Une proposition de loi présentée par le Parti socialiste en décembre 2005 avait repris la suggestion de M. Weil. Elle avait alors été rejetée par le gouvernement et le Parlement. "L'équité républicaine, ce n'est pas abaisser les barrières pour créer une égalité apparente", avait expliqué Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Au nom du gouvernement, il avait réfuté toute idée de créer "un droit à la prépa" — ce que M. Chirac a décidé de proclamer un mois plus tard. "Je me réjouis que M. Chirac reprenne finalement nos propositions, mais j'attends que cela se traduise dans les actes", a réagi le député Manuel Valls, qui avait défendu la proposition de loi pour le PS.

Luc Bronner

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