Clearstream : Villepin mis en examen
L'ancien Premier ministre UMP, mis en cause dans une manipulation politique visant Nicolas Sarkozy dans le cadre de l'affaire Clearstream, est mis en examen notamment pour "complicité de dénonciation calomnieuse", "recel de vol et d'abus de confiance", "complicité d'usage de faux". Il proteste cependant qu'"à aucun moment", il n'a "participé à une quelconque manœuvre politique".
Dominique de Villepin a été mis en examen vendredi 27 juillet dans l'affaire Clearstream, notamment pour "complicité de dénonciation calomnieuse", "recel de vol et d'abus de confiance" et "complicité d'usage de faux".
L'ancien Premier ministre UMP est arrivé à 9h40 au pôle financier de
Paris avec ses deux avocats, Mes Olivier d'Antin et Luc Brossollet. Il
a été entendu par les magistrats durant 50 minutes. Dominique de
Villepin est poursuivi pour "complicité de dénonciation calomnieuse,
recel de vol et d'abus de confiance, complicité d'usage de faux" par
les juges Jean-Marie d'Huy et Henri Pons, qui instruisent un dossier
politico-judiciaire devenu une affaire d'Etat.
Il refuse de répondre aux juges
Dominique de Villepin est ressorti vers 11h10. "Je tiens à redire ce
matin qu'à aucun moment je n'ai demandé d'enquête sur des personnalités
politiques, qu'à aucun moment, je n'ai participé à une quelconque
manoeuvre politique", a-t-il déclaré aux journalistes présents.
"J'ai agi pour faire face à des menaces internationales, j'ai agi pour
faire face à des menaces contre nos intérêts économiques: c'est
strictement dans ce cadre que j'ai agi. C'était mon devoir comme
ministre", a-t-il poursuivi.
Selon un de ses avocats, il a déclaré aux juges qu'il ne répondrait pas
à leurs questions avant "de prendre connaissance du dossier".
Convoqué depuis début juillet, l'ancien Premier ministre est soupçonné
pour des faits commis en 2004 alors qu'il était successivement ministre
des Affaires étrangères puis de l'Intérieur du gouvernement Raffarin.
Les juges Henri Pons et Jean-Marie d'Huy suspectent en effet Dominique
de Villepin d'avoir organisé une manipulation politique visant à
discréditer ses adversaires au premier lieu desquels Nicolas Sarkozy
qui se positionnait pour la course à l'Elysée.
Dominique de Villepin aurait ainsi eu recours à des fichiers falsifiés
de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream afin de
dénoncer à la justice l'existence de comptes bancaires à l'étranger,
alimentés par des pots-de-vin, au nom de plusieurs personnalités du
monde politique.
Calomnies et mensonges
Des faits que l'ancien Premier ministre dément vigoureusement. "J'ai
été victime (...) de calomnies et de mensonges", a-t-il dit le 22
décembre dernier à l'issue d'une première audition de 17 heures en tant
que témoin assisté. Au cours de cette audition, il a notamment déclaré
n'avoir "jamais eu les listings Clearstream en main" et n'avoir "jamais
évoqué cette affaire avec le président de la République" Jacques Chirac.
Autant de déclarations mises à mal depuis par la découverte de notes du
général Philippe Rondot, ancien responsable de la coordination du
renseignement au ministère de la Défense, chargé par Dominique de
Villepin le 9 janvier 2004 de mener une enquête discrète sur ces
listings que le corbeau présumé de l'affaire, Jean-Louis Gergorin,
alors un vice-président d'EADS, lui avait remis.
Entendu à deux reprises la semaine dernière, Jean-Louis Gergorin a
ainsi dit aux juges que le 1er janvier 2004, Dominique de Villepin lui
a demandé une note de synthèse sur l'affaire Clearstream à destination
de Jacques Chirac.
Huit jours plus tard, c'est à la demande expresse du chef de l'Etat que
Dominique de Villepin aurait chargé le général Rondot d'une "enquête
discrète" sur l'affaire Clearstream.
"Balancer Nicolas Sarkozy"
Devant les juges, Jean-Louis Gergorin, a également confirmé avoir eu
neuf rendez-vous sur l'affaire Clearstream entre février et novembre
2004 avec Dominique de Villepin. C'est à la demande de l'ancien
ministre, sur "instruction du président de la République", que
Jean-Louis Gergorin dit avoir saisi un juge, en l'occurrence Renaud Van
Ruymbeke, de ce dossier. Lors de son dernier interrogatoire, Jean-Louis
Gergorin a déclaré qu'en lui "transmettant cette 'instruction',
(Dominique de Villepin) était totalement convaincu de la réalité des
listings Clearstream et du fait que les investigations judiciaires
qu'il me demandait de provoquer allait aboutir à des résultats rapides".
L'ancien responsable d'EADS a cependant démenti le contenu d'une note
datée du 30 juin 2004 dans laquelle le général Rondot rapporte une
conversation avec l'informaticien Imad Lahoud selon lequel Gergorin
avait reçu des "instructions de Dominique de Villepin 'de balancer
Nicolas Sarkozy'". Des faits également démentis par Imad Lahoud lors de
son audition jeudi dernier. Tous deux sont mis en examen dans ce
dossier.
Jugé par la CJR ?
Dominique de Villepin pourrait contester la compétence des juges de
droit commun dans cette affaire s'il estime que les faits qui lui sont
reprochés ont été commis dans l'exercice de ses fonctions et relèvent
dans ce cas de la seule Cour de justice de la République (CJR). S'il a
noté dans le communiqué annonçant sa convocation "qu'il a agi
strictement dans le cadre de ses fonctions de ministre", Dominique de
Villepin brouille cependant le message quant à sa stratégie de défense
en acceptant de se rendre à la convocation des juges.
Il s'agit en effet de savoir si les faits reprochés à Dominique de
Villepin sont détachables de ses fonctions ministérielles ou non. Son
cas est sujet à interprétation dans le monde judiciaire. En tout état
de cause, même s'il est mis en examen, il peut saisir la chambre de
l'instruction de la cour d'appel de Paris pour contester la compétence
de la justice ordinaire. Et ce tout au long de l'enquête. Avant
Dominique de Villepin, l'ancien Premier ministre Alain Juppé a déjà été
poursuivi, mais pour des faits antérieurs à toute fonction
ministérielle. Quant à l'ancien Premier ministre Laurent Fabius, son
cas a relevé, sans discussion aucune, de la CJR dans l'affaire du sang
contaminé. (Avec AP)